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ARTICLE

L’épargne salariale en pleine mutation

Rosine De Matos

Droit social

Le principe selon lequel le salarié doit être valorisé et associé aux résultats de l’entreprise au travers de sa rémunération s’est ancré dans l’esprit des communautés de travail et de l’opinion publique depuis de nombreuses années.

Concrètement, il s’agit d’améliorer le partage de la valeur que l’entreprise a pu dégager, et de rendre possible une meilleure répartition de la richesse créée entre les différentes parties prenantes, dont les salariés.

 

Si depuis les années 1960 il existe des dispositifs d’épargne salariale tels que l’intéressement et la participation, ces derniers sont tributaires de l’effectif de l’entreprise.

 

De nouveaux dispositifs sont donc venus compléter les dispositifs « classiques ». C’est ainsi, par exemple, le cas de la prime de partage de la valeur, qui remplace depuis juillet 2022 la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, de manière, notamment, à pérenniser le dispositif, avec un traitement social et fiscal de faveur.

 

L’Accord national interprofessionnel du 10 février 2023 relatif au partage de la valeur s’inscrit directement dans cette lignée.

Tout en rappelant le principe de non-substitution, les partenaires sociaux ont organisé leurs réflexions autour de cinq priorités :

 

  1. poursuivre le travail engagé sur les politiques de rémunération et de valorisation du travail ;

  2. mettre en lumière le partage de la valeur au sein des entreprises et des branches professionnelles ;

  3. encourager les recours aux dispositifs de partage de la valeur pour faciliter la généralisation ;

  4. faciliter le développement et la sécurisation de l’actionnariat salarié ;

  5. améliorer les dispositifs de l’épargne salariale.

 

Ce faisant, ils ont adopté des recommandations à destination des branches et des entreprises, notamment en matière de rémunération et de classifications, encouragé l’adoption de certaines mesures et arrêté des dispositions pour une application directe.

 

La loi du 29 novembre 2023 vise précisément à transposer, de manière fidèle, les mesures législatives en retenant quatre axes :

 

  • renforcer le dialogue social sur les classifications sociale en prenant en compte l’objectif d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et de mixité des emplois ;

  • faciliter la généralisation des dispositifs de partage de la valeur 

  • simplifier la mise en place de dispositifs de partage ;

  • développer l’actionnariat salarié.

 

Des questions/réponses du Ministère du travail ainsi que deux décrets parus le 29 juin 2024 et le 5 juillet 2024 ont apporté des précisions.


Un champ d’application en pleine croissance

 

D’une manière générale, de plus en plus d’entreprises sont concernées par la mise en place d’un dispositif d’épargne salariale, quel qu’il soit.

 

Entre autres, depuis la promulgation de la loi, la participation est désormais :

 

  • ouverte, à titre expérimental, aux entreprises de moins de 50 salariés sur la base du volontariat, et ce pendant un délai de 5 ans. Le cas échéant, les employeurs peuvent opter pour un régime dérogeant au régime légal, dans un sens plus favorable mais également moins favorable, écartant la règle de l’équivalence des avantages consentis.


    Ce régime expérimental peut être mis en place par adhésion à un accord de branche agréé ou par un accord d’entreprise, le mécanisme de la décision unilatérale n’étant pas ici retenu.


    La formule dérogatoire expérimentale doit entièrement être rattachée aux résultats financiers de l’entreprise, tels que le bénéfice net, le résultat courant avant impôts, le résultat d’exploitation ou l’excédent brut d’exploitation de l’entreprise.

 

  • obligatoirement applicable aux entreprises dépassant le seuil de 50 salariés pendant 5 exercices consécutifs, peu important qu’elles soient couvertes par un accord d’intéressement. En effet, le moratoire de trois ans permettant à des entreprises se trouvant dans cette situation de repousser la mise en place de la participation au troisième exercice clos est abrogé.

 

Par ailleurs, un dispositif de partage de la valeur est instauré pour :

 

  • les PME de 11 à 49 salariés, dès lors qu’elles sont profitables[1] ;

  • les entreprises issues de l’économie sociale et solidaire employant au moins 11 salariés, si leur résultat excède au moins 1% de leurs recettes pendant trois exercices consécutif.

 

Dans les deux cas, le partage peut prendre la forme d’un régime d’intéressement ou de participation, du versement d’un abondement à un plan d’épargne salariale/de retraite, ou bien du versement d’une prime de partage de la valeur, selon les règles prévues pour chacun de ces dispositifs.

 

Les entreprises de droit étranger disposant d’établissements permanents en France, qui y procède à des déclarations sociales et fiscales, sont concernées par la nouvelle obligation, qui s’appliquera aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2025.

 

Enfin, l’attribution d’une prime de partage de la valeur est facilitée. Cette dernière pourra être versée deux fois par an dans la limite des plafonds d’exonération (3.000€ et 6.000€) et placée sur un plan d’épargne d’entreprise avec une régime de faveur (social et fiscal), sous réserve de remplir les conditions y afférentes.


Une philosophie verte, empreinte de compromis

 

Dans sa globalité, l’épargne salariale se veut davantage vertueuse.

 

Par exemple, depuis le 1er décembre 2023, le législateur oblige les entreprises disposant d’au moins un délégué syndical, assujetties à la participation, et qui ouvrent une négociation en matière d’intéressement ou de participation, à négocier sur :

 

  • la définition de ce qui constitue une augmentation exceptionnelle de leur bénéfice net fiscal tel que défini pour le calcul de la réserve spéciale de participation. Une liste indicative des critères à prendre en considération à été adoptée (taille de l’entreprise, secteur d’activité, bénéfices réalisés les années précédentes ou les événements exceptionnels externes à l’entreprise intervenus avant la réalisation du bénéfice…) ;


  • les modalités du partage de la valeur : versement d’un supplément de participation ou d’intéressement, dont le montant reste indéterminé au moment de la conclusion de l’accord, ouverture d’une négociation ayant pour objet de mettre en place un régime d’intéressement, versement d’un abondement à un plan d’épargne salariale ou retraite ou versement d’une prime de partage de la valeur.

 

L’information des bénéficiaires des dispositifs d’épargne salariale est également renforcée. Tel est le cas des salariés qui affectent tout ou partie de leur prime de partage de la valeur à un plan d’épargne salariale ou de retraite, et de ceux percevant une prime dans le cadre d’un plan de partage de la valorisation de l’entreprise

 

Enfin, le législateur a souhaité remettre à l’ordre du jour les possibilités pour les salariés d’investir, et ce de manière responsable.

 

Parmi les mesures prises dans cette perspective, on relève :

 

  • l’obligation pour les gestionnaires des plans (PEE, PEI, PERECO, et PERO) de proposer en plus du fonds solidaire, au moins un fonds labellisé, au titre du financement de la transition énergétique et écologique ou de l'investissement socialement responsable (ISR) parmi les labels suivants :

    • Label « investissement socialement responsable » ;

    • Label « France finance verte » ;

    • Label « Relance » ;

    • Label « Finansol » ;

    • Label « Comité intersyndical de l’épargne salariale ».

 

  • le plafond des abondements que l’employeur peut réaliser au profit du salarié qui investit sur son plan d’épargne d’entreprise, qui est porté à 16% du plafond annuel de la sécurité sociale, sous réserve d’investir dans l’acquisition d’actions de l’entreprise qui l’emploie. Ce dispositif complète l’abaissement des seuils et des conditions liées aux entreprises devant mettre en œuvre au moins un dispositif de partage de la valeur qu’il s’agisse de la prime de valeur partagée, d’un plan d’épargne d’entreprise, ou même d’un plan d’épargne retraite.

 

  • l’augmentation par la loi du plafond global d’attribution des actions gratuites qui permet aux salariés d’avoir accès à une plus grande portion du capital social.

Lorsque ce plan est offert à tous les salariés, ce plafond est désormais fixé à 40% du total du capital en lieu et place des 30%, en place auparavant. Il est porté à 30% lorsque l’attribution d’actions gratuites bénéficie à des membres du personnel représentant au moins 25% du total des salaires bruts pris en compte pour la détermination de l’assiette des cotisations.

 

  • la mise en œuvre de trois nouveaux cas de déblocage anticipé de la participation et des sommes investies dans un plan d’épargne d’entreprise. Il en est ainsi, à présent, des sommes qui seraient affectées à des travaux de rénovation énergique, à une activité de proche aidant exercée par l’intéressé ou bien à l’achat d’une véhicule « propre ».

 

Le chapitre III de la loi Pacte était déjà intitulé « Des entreprises plus justes ». A la lumière des mesures adoptées, le législateur semble poursuivre sa quête d’une meilleure prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux par l’entreprise.

Cela étant, l’évolution du modèle actuel par le renforcement du partage de la valeur avec les salariés ne doit pas faire oublier la nécessaire prise en compte de l’impact économique sur l’entreprise.

 

Bien plus, non seulement les entreprises devront être accompagnées pour leur mise en conformité juridique, qui pourra s’inscrire dans le temps, mais elles devront par ailleurs permettre à leurs salariés de bien comprendre cette poche financière, que ce soit son traitement social et fiscal, que ses perspectives et conséquences en matière d’investissements.


[1] On entend par « profitable » les entreprises qui réalisent un bénéfice net fiscal d’au moins 1% de leur chiffre d’affaires pendant trois exercices consécutifs.



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