Alexia Alfonsi

Le 22 janvier 2024, la Société Générale écope d’une amende de 4,5 millions d'euros pour pratiques commerciales trompeuses, infligée avec l’accord du Procureur par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). La banque au logo rouge et noir accepte de la régler et évite ainsi le procès.
Le 17 mai 2024, Selectra, le comparateur d’offres de fournisseurs d’électricité et de gaz, accepte à son tour de s’acquitter d’une amende de 400.000 euros. La DGCCRF lui reproche de présenter « les offres d'un fournisseur d'énergie de manière trompeuse notamment en mettant en avant des remises inexistantes, des mentions laissant faussement croire que les offres sont financièrement intéressantes et des éléments de langage qui occultent le fait que le prix du kWh proposé par ce fournisseur est supérieur à celui du tarif réglementé».
Le 24 juin suivant, dans le viseur de la Répression des fraudes, le célèbre parc d’attraction, Eurodisney, trouve lui aussi un accord pour échapper aux poursuites, en acceptant de payer une amende 400 000 euros. Deux ans auparavant un collectif d’abonnés avait dénoncé une « offre trompeuse sur les pass annuels illimités vendus 499 euros ». Problème : ce pass annuel illimité ne permettait pas, comme pourtant annoncé, d’accéder au parc chaque jour en raison de quotas restreignant l’accès à ses détenteurs.
Action ou omission réalisée par un professionnel, qui induit ou est susceptible d'induire en erreur le consommateur, une pratique commerciale trompeuse est une notion qui englobe une large gamme de comportements, incluant la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit ou service. Prévue et réprimée par les articles L.121-2 et L.121-3 du Code de la consommation, elle est constitutive d’un délit passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement et d’une amende pouvant atteindre la somme de 1.500.000 euros pour les personnes morales, voire, en fonction des avantages obtenus, d’une somme représentant 10% du chiffre d’affaires moyen annuel de la société calculé sur les trois dernières années.
Tous les agents enquêteurs de la DGCCRF sont habilités par la loi à constater sur l’ensemble du territoire national des pratiques commerciales dites trompeuses. La DGCCRF est habilitée, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, à transiger, après accord du procureur de la République, pour, notamment, sanctionner la commission de ce délit.
Au mois de septembre 2024, c’est au leader français durant 10 ans de la vente des assurances dites « affinitaires[1] » de faire les beaux jours de la presse.
« Groupe INDEXIA », « Hubside », « SFAM », « Foriou », « Cyrana »…autant de noms et sigles qui ne parlent pas au grand public, mais dont nous sommes nombreux, bien souvent sans même le savoir, à avoir souscrit auprès d’eux une assurance.
Toutes rassemblées sous le parapluie « INDEXIA », ces sociétés sont aujourd’hui poursuivies pour avoir commercialisé pendant près d’une dizaine d’années des assurances affinitaires auprès d’acheteurs de produits électroniques distribués, notamment, chez le leader européen de la distribution de ces produits, le groupe FNAC-DARTY. Une des filiales du groupe, Hubside, était même spécialisée dans les ventes avec prime[2] au moyen de techniques très discutables. Elle démarchait des clients en pleine rue, ou à l’entrée de grandes surfaces, en leur offrant, à la souscription d’une assurance affinitaire, des produits électroniques ou un service de réparation.
Une vague de procès devant les juridictions civiles et pénales s’ouvre, alors que la société holding du groupe INDEXIA et ses filiales viennent de faire l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire ouverte en mai 2024 devant le Tribunal de commerce de Paris.
A l’occasion de la liquidation du groupe, une plateforme est même mise en ligne pour permettre aux consommateurs lésés de déclarer leurs créances dans le délai légal de deux mois. Il s’agit d’une organisation sans précédent, au regard de l’ampleur du dossier et du nombre de personnes concernées.
Qui n’a pas déjà souscrit à une extension de garantie ?
Le mécanisme le plus souvent mis en place par les sociétés du groupe INDEXIA était simple : au moment de l’achat d’un produit électronique, le vendeur proposait au consommateur une extension de garantie de deux ans, qui s’ajoutait aux garanties légales, pour une quinzaine d’euros par mois.
De prime abord rien ne semble répréhensible d’un point de vue juridique. Mais c’est ensuite que la situation échappe au contrôle du consommateur, qui souvent la découvre au hasard : les prélèvements se multiplient, jusqu’à atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros, sans que le moindre avenant n’ait été conclu.
Ainsi, à titre d’exemple, alors qu’elle achète fin 2017 un ordinateur pour lequel elle va souscrire une assurance d’une durée ferme de deux ans, pour 15,99 euros par mois, une consommatrice va ensuite se retrouver prélevée de la somme de 26.000 euros sur la seule année 2023…
A la découverte des prélèvement indus, le premier réflexe du consommateur est de penser à une erreur et se tourner vers l’organisme assureur afin de la signaler et obtenir le remboursement des sommes trop versées. Or, c’est là qu’il se heurte à un premier écueil : soit un remboursement lui est promis, lequel n’interviendra jamais, soit aucune réponse n’est jamais apportée à ses nombreuses relances. Le consommateur est alors démuni : s’il peut, effectivement, faire opposition aux prélèvements futurs sur son compte bancaire, moyennant des frais, comment récupérer les sommes déjà indument encaissées par l’assureur ?
La DGCCRF – un premier recours ?
Lorsqu’ils s’estiment victimes d’une arnaque ou d’une fraude suite à un achat, le réflexe de nombre de consommateurs français est de procéder à un signalement auprès de la DGCCRF.
Devant l’affluence des signalements (tous secteurs confondus), la DGCCRF a mis en place une plateforme en ligne - « Signal Conso » - qui permet aux consommateurs de signaler tout problème rencontré avec un vendeur lors d’achats en magasin, sur internet, ou encore à la suite de démarchage téléphonique ou physique. Cette plateforme de la DGCCRF propose ainsi pléthore de rubriques qui couvrent de nombreux secteurs (santé, démarches administratives, intoxication alimentaire, immobilier, services bancaires et assurantiels, etc) pour lesquels il est possible de déposer un signalement.
Des consommateurs victimes de prélèvements intempestifs du groupe INDEXIA ont ainsi procédé à des signalements en masse auprès de la DGCCRF qui, face au nombre toujours croissant de plaignants, a rapidement pris la mesure de l’ampleur du problème.
Les consommateurs lésés font notamment état de contrats d’assurance qu’ils n’auraient jamais signé, de contrats renouvelés sans leurs accords, ou encore de la démultiplication des montants prélevés en violation des engagements contractuels initiaux.
Une enquête est alors initiée par les services de la répression des fraudes, laquelle fait rapidement la lumière sur les agissements des différentes entités du groupe INDEXIA ; elles commercialisaient notamment des services d’assurances et d’extension de garantie destinés à couvrir l’achat de produits de téléphonie ou multimédia, des services d’abonnement pour l’obtention de cashback[3], ou encore des services de création de site internet.
Or, si leur commercialisation n’était pas illégale en tant que telle, la DGCCRF constate que les pratiques mises en cause consistaient à faire souscrire aux consommateurs les services incriminés, puis, à leur faire faussement croire, lorsqu’ils souhaitaient cesser les prélèvements, résilier leurs abonnements et / ou être remboursés, que leurs demandes étaient prises en compte.
L’objectif des sociétés du groupe INDEXIA étaient donc de maintenir actifs le plus grand nombre de contrats, même lorsque ceux-ci étaient initialement cantonnés à une durée de 2 ans, pendant une période qui était prolongée de manière artificielle, en dépit d’une volonté contraire clairement exprimée par les consommateurs.
Ce type de comportement est qualifié par la DGCCRF de pratique commerciale trompeuse.
Le 4 avril 2022, l’administration transmet au Procureur de la République du Tribunal judiciaire de Paris les conclusions de ses investigations menées sur cette affaire.
Quelle suite pour les consommateurs lésés ?
Après la transmission du dossier INDEXIA au Procureur de la République, des poursuites ont été initiées à l’encontre des différentes sociétés du groupe, tandis qu’une perquisition est réalisée au siège social de la holding, à Romans-sur-Isère (38).
Une transaction pénale[4] est finalement proposée à INDEXIA. Le groupe va alors s’acquitter du paiement d’une amende transactionnelle à hauteur de 10 millions d’euros et s’engager à indemniser tous les consommateurs qui ont procédé à une réclamation avant le 31 août 2019.
Dans le prolongement de cette transaction, INDEXIA va perdre son partenariat avec la FNAC, qui porte plainte à son encontre, puis, en 2023, son agrément en tant qu’assureur auprès de l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution). A compter de cette date, INDEXIA n’est donc plus en mesure de commercialiser de nouveaux produits d’assurance.
Cela étant, le paiement de cette amende n’a eu aucun impact sur la forte croissance du groupe et les conséquences des moyens employés pour ce faire. En effet, en dépit de la conclusion de cette transaction pénale, non seulement les signalements des consommateurs auprès de la DGCCRF n’ont pas cessé, mais se sont multipliés.
Une seconde enquête est alors initiée par la DGCCRF portant, cette fois, plus spécifiquement sur la politique de résiliation des contrats d’assurance. Elle aboutit à un renvoi devant le Tribunal correctionnel de Paris de six des sociétés du groupe, la holding INDEXIA, et son Président.
De nombreux consommateurs se constituent alors parties civiles au côté de l’Association de consommateurs UFC que Choisir, qui recense des milliers de plaintes à propos des techniques de vente, de la politique de remboursement et des prélèvements indus réalisés par les sociétés du groupe.
Les parties civiles espèrent obtenir une indemnisation de la part du groupe, dont la condamnation fait peu de doute. La question qui demeure est celle de sa capacité d’indemnisation des consommateurs victimes.
En parallèle, environ 500 consommateurs introduisent une action civile devant le Tribunal Judiciaire de Paris, réclamant le remboursement des prélèvements indus et le règlement de 10.000 euros de dommages et intérêt par consommateur au titre du préjudice moral subi.
Toutefois, une difficulté pratique se pose. La liquidation judiciaire de la société SFAM, une des principales entités du groupe, est prononcée à la suite d’une action en justice introduite par les URSSAF pour un montant de 12 millions d’euros de dette impayée.
L’ensemble des consommateurs s’interroge donc, à juste titre, sur la capacité du groupe, à l’issue de la procédure de liquidation judiciaire, à rembourser les prélèvements réalisés à leur insu… alors que dans un même temps un nombre croissant d’ex-salariés du groupe multiplie les saisines du conseil des Prud’hommes en raison de plans de licenciements massifs déguisés en licenciements économiques.
A l’été 2024, de nouvelles victimes d’INDEXIA constate avec effroi de nouveaux prélèvements sur leur compte bancaire, bien que sous un libellé différent, au bénéfice d’une compte ouvert dans les livres d’une banque belge.
Audiencée du 23 septembre au 2 octobre 2024 devant le Tribunal correctionnel de Paris, le fondateur du groupe et sept de ses filiales font face à 1 600 parties civiles pour répondre des accusations de pratiques commerciales trompeuses et d’entrave à l'enquête de la répression des fraudes.
Affaire à suivre.
[1] Une assurance affinitaire est ce que l’on appelle plus communément une « extension de garantie », qui couvre les produits concernés en cas de détérioration ou de panne.
[2] La vente avec prime est une technique de promotion commerciale qui consiste, pour tout achat de produits ou de services, à en offrir gratuitement un autre.
[3] Le ‘cashback’ est une pratique utilisée généralement en ligne, permettant de proposer des réductions au consommateur après l’achat d’un article via le remboursement d’un pourcentage du prix payé.
[4] Une transaction pénale est une alternative aux poursuites. Le ministère public peut, dans certains cas, proposer à l'auteur présumé d’une infraction de payer une certaine somme d'argent. S'il accepte, l'auteur présumé de l’infraction ne sera pas ou plus poursuivi.